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18 mars 2015 3 18 /03 /mars /2015 22:47

Depuis le temps que je voulais qu’il écrive dans le blog, j’ai enfin obtenu gain de cause ! Jacobo Rios, maître de conférences HDR à l’Université de Perpignan Via Domitia (et cinéaste dans l’âme), a accepté de partager ses anecdotes et réflexions sur l’étude (la sienne, la vôtre) du droit international, sur les films et séries d’espionnage et sur certains de ses thèmes de recherche. A la lecture, on constate finalement que l’on peut, sur un malentendu (?), transformer une aventure klapischienne inversée, via ERASMUS, en belle carrière universitaire en France. Merci à lui !

 

Quand avez-vous décidé de suivre la « voie » du droit international public ?

J'étais un étudiant espagnol en droit, et je « rêvais » de venir à Paris et en France alors qu'à 20 ans je ne parlais pas encore un seul mot de français ! Comment faire alors ? J'ai appris cette langue en tant qu'Erasmus à Paris, cela m'a fait découvrir le droit international mais aussi confirmé qu'un vœu pouvait devenir réalité. Je vivais ce que Serge Sur appelle, dans son livre Plaisirs du cinéma, un « rêve d’Europe ». A la fin du séjour Erasmus, un peu donc comme Romain Duris dans L'auberge espagnole (attention spoiler !), j'ai décidé de quitter ma voie « normale », en droit en Espagne, pour un avenir qui semblait un peu plus incertain, mais beaucoup plus motivant, et qui s'est tourné naturellement vers le droit international. J'ai fait alors un master en DIP en France ne sachant pas encore ce que je deviendrais après, la thèse est apparue comme une grande opportunité. Pour moi, à cette première époque, le droit international était la France, il y avait une identité entre les deux, cela explique certains de mes premiers travaux. J'ai vu aussi que l'ambiance internationale était en accord avec ma personnalité et que quand on y goute on ne peut plus s'en passer. En tout cas, je n'ai pas pu ! Le recul étant donc impossible, je suis allé de l'avant, mais j'ai aussi eu de la chance car certains m'ont tendu la main dans cette voie du droit international qui est à mes yeux unique et très recommandable.

 

Vous avez étudié la représentation du droit international dans les films et séries d’espionnage, notamment dans les franchises James Bond et OSS 117 ou dans la série 24 heures chrono. Diriez-vous que les espions (fictifs ou réels) sont les protecteurs ou les « ennemis » du droit international ? De quelle manière utilisez-vous ces œuvres dans le cadre de vos enseignements ?

Les « espions » ne sont ni les protecteurs ni les ennemis du droit international mais seulement un élément de l’action des Etats. Ils représentent l’action étatique, mais une action méconnue et volontairement dans l’ombre. Il n’est pas pertinent à mon sens de stigmatiser une activité qui reste habituelle et commune à tous les Etats du monde, mais plutôt de s’interroger sur la manière dont les services de renseignement fonctionnent, surtout après les révélations d’affaires récentes telles que celle de Snowden. Il n’y a en effet aucune norme qui interdit l’espionnage en droit international, il n’y a que des normes internes qui le font. A priori, et même si certaines controverses doctrinales existent en ce qui concerne l’espionnage en temps de paix, l’application du principe de réciprocité justifie l’activité d’espionnage, mais celle-ci peut parfois violer des normes internationales spécifiques, relatives par exemple à la souveraineté territoriale des Etats.

La réalité dépasse souvent la fiction, mais si vous regardez Casino Royale, des exemples flagrants de violation de la Convention de Vienne de 1961 apparaissent, avec la prise d’assaut d’une ambassade par James Bond ! Le lien entre 007 : Rien que pour vos yeux et l’affaire du Détroit de Corfou (CIJ, 1949) est également frappant. J’analyse l’action britannique dans ces films comme une vision « réaliste » des relations internationales, James Bond agit dans un monde westphalien où les souverainetés sont juxtaposées, à la différence d’un certain « idéalisme » anachronique d’OSS 117, symbole d’un colonialisme dépassé, dans une vision parodique de l’action extérieure française. Jack Bauer, dans 24 heures chrono, présente des caractéristiques très particulières : bien ancré dans l’époque de l’administration Bush, il défend une vision « jusnaturaliste » du droit international, un jusnaturalisme quantitatif : sauver des vies entraîne la violation du droit, et Jack Bauer agit ainsi sans pour autant contester l’illicéité de ses actions. On peut notamment le constater lorsqu’il est interrogé par une commission d’enquête du Sénat américain, au début de la saison 7.

En somme, ces films et séries télévisées montrent que l’action étatique, quelle qu’elle soit, est imprégnée d’orientations qui s’inscrivent dans une certaine interprétation du droit international. J’utilise des extraits de ces films dans certains de mes cours, pour illustrer mes propos. J’organise aussi des séances de ciné-débat autour d’un film avec une préparation en amont par mes étudiants et mon équipe pédagogique.

 

Vous travaillez sur la question, assez méconnue, des migrations contraintes en droit international. Pourriez-vous expliquer au grand public de quoi il s’agit ? De nos jours, ce phénomène est-il encadré de manière efficace par le droit international ?

Il existe plusieurs manifestations de ce type de migrations, de mon côté j’ai essentiellement travaillé sur la traite et le trafic illicite de migrants. Il s’agit, dans le premier cas, d’une activité d’exploitation de l’individu et dans le deuxième, du franchissement illicite de frontières, avec, selon les Protocoles des Nations Unies de 2000, une finalité lucrative. Ce sont souvent des infractions cumulatives, si par exemple des passeurs amènent des migrants sur le territoire d’un Etat et les exploitent ensuite pour qu’ils remboursent leurs « dettes » relatives aux frais de voyage. Mais l’exploitation n’est qu’une circonstance aggravante du trafic, alors que c’est un élément constitutif de la traite. Ces deux Protocoles offrent un cadre inégal, celui relatif à la lutte contre le trafic illicite de migrants est finalement plus axé sur la protection des frontières que sur la protection des droits des migrants.

C’est une manifestation de la tension dichotomique entre la souveraineté et les droits de l’homme. Si l’efficacité dépend des normes, des progrès sont à faire, mais si elle est déterminée en fonction de la pratique des Etats, comme je le pense, ce qui reste à faire est encore beaucoup plus important que des simples progrès. En effet, la protection des migrants est encore faiblement effective, il suffit de lire les journaux en se restreignant même au cadre méditerranéen. Des exemples comme le naufrage à Lampedusa en 2013 montrent malheureusement les carences en la matière.

Néanmoins, dans le cadre régional européen certains arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, comme Hirsii Jamaa et a. c. Italie (23 février 2012) ou Rantsev c. Chypre et Russie (7 janvier 2010) sont emblématiques des problèmes rencontrés et de cette opposition dialectique entre la protection des frontières et celle des droits de l’individu. Je pense qu’il faut agir pour éviter des nouvelles tragédies. Comme l’aurait dit René-Jean Dupuy, l’être humain « ne trouve cependant une protection effective qu’autant que le pouvoir des États cesse d’être inconditionné ». Mais les limitations doivent venir des États eux-mêmes.

 

Quelle est la chose que vous répétez le plus souvent à vos étudiants, en cours ou en dehors ?

Je leur dis tout le temps que dans la vie il faut faire ce qu'on aime. C’est la seule manière d’aimer ce qu’on fait. Je pense que nombre d'étudiants (et pas seulement des étudiants !) sont contraints par des choix extérieurs, qu'ils n'ont pas fait eux-mêmes, alors que la vie devrait être une aventure. Par exemple, telle ou telle matière offrirait plus de débouchés que les autres, et certains se tournent vers elle alors même qu'ils ne prennent aucun plaisir à l'étudier. Cela brouille les particularités de chacun, on s'oublie soi-même. Sans doute, il faut bien mesurer le poids de nos propres décisions mais il faut aussi une part d'instinct. Autrement dit, et pour ramener cela au DIP, si c'est le droit international qu’on choisit, il faut se renseigner sur plusieurs points (formations, débouchés...) et ne pas se laisser décourager par des lieux communs tels que la difficulté de cette voie. Cela ne veut pas dire d'aller contre le mur, mais d'écouter sa voix intérieure. On est maître de son propre destin. S'il suit la voie qu'il a choisie de son plein gré (que ce soit les finances publiques ou le DIP !), un étudiant est sur le chemin de la réussite. C'est un état d'esprit qui supprime les limites et rend possible des chemins qui semblaient hors de portée.

 

Si vous ne faisiez pas de droit international public, quelle carrière alternative auriez-vous pu mener ?

Agent secret ! Non, sérieusement, j'aurais aimé être réalisateur de cinéma. J'ai toujours eu de l’intérêt à la fois pour la création d'histoires mais aussi, pour la vidéo, la direction d'acteurs et d'équipes. Je trouve cela stimulant. Même à petit niveau, les sensations peuvent être fortes. Tout le monde est alors au service d'un projet, cela lui donne une existence et une autonomie qui persistent des années après. On aurait pu penser que c'est loin du droit, mais pas tant que ça. Le droit est plutôt une interprétation de la réalité tandis que le cinéma (et éventuellement la vidéo) est la création d'une réalité à part. C'est complémentaire car tout ce qui existe doit être interprété. Les frontières ne sont pas toujours étanches entre la création et l’interprétation. Avec un ami et collègue qui partage ce type de plaisir, on a plaisanté parfois, on s'est dit qu'actuellement nous sommes enseignants, mais si Hollywood appelle, nous serions prêts à prendre une disponibilité ! Dans ce sens, merci d'inclure mes coordonnées en bas de page ;-)

 

Avez-vous une anecdote universitaire à partager avec les visiteurs du blog ?

J'ai recommandé très souvent le blog Le droit international expliqué à Raoul à mes étudiants et à des collègues, ne sachant pas qui était l'auteur. J’aimais particulièrement une image qui représentait la façon dont les internationalistes sont perçus par eux-mêmes et par les autres. Un jour, quelqu’un m'a dit « mais l’auteur du blog est ... ». C'était alors un grand plaisir d'apprendre que derrière l'un des projets les plus audacieux, intéressants et originaux que j'aie vus en droit international ces dernières années, il y avait un ami et ancien co-équipier. Merci pour l'interview !

 

Twitter : @RiosJacobo

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commentaires

S
Bonjour,<br /> Je tenais juste à dire que Mr.Rios fut et reste, pour beaucoup d'anciens étudiants de l'IUT Carrières Juridiques de Narbonne, le professeur nous ayant le plus marqué par la passion avec laquelle il enseignait une matière qui, bien qu'elle ait une mauvaise réputation en droit, est devenue passionnante pour nous !<br /> J'ai même, grâce à lui, décidé de m'orienter vers le droit public et le droit international pour l'avenir. <br /> Donc merci à lui et merci à vous pour cet article !
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Soyez Les Bienvenus!

  • : Le Droit international expliqué à Raoul
  • : Blog destiné aux juristes en droit international, à leurs proches et aux curieux. Si vous parvenez à faire comprendre la clause de la nation la plus favorisée à votre maman grâce à ce blog, son objectif sera atteint. Animé par Valère Ndior, professeur de droit public à l'Université de Bretagne occidentale.
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Voyez aussi le projet de recherche de l'ULB Droit international et Cinéma et ses analyses de films et séries (dir. Olivier Corten et François Dubuisson).

Contributeurs

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Ont contribué à ce blog, en leur nom propre ou sous pseudonyme :

Anne de T.
Brejon, Aude
Dichotome
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Ecudor, Henri
Freddy
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L'Auvergnate
Latty, Franck
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Maurel, Raphaël

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Rochas, Sabrin
Rousseau, Nicolas
Sakay, Jarod
Sébastien
Steeve
Stocri
Sur, Serge
Thibault
Thomas
Valoche, Hervé

 

Merci à tous ces enseignants, étudiants et amis du droit international !