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27 juillet 2014 7 27 /07 /juillet /2014 11:37

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[Dossier consacré à L'image du droit international]

Hervé : Raoul, il y a bien un point d’interrogation dans l’énoncé ? : « A quoi sert le droit international ? ».

Le jeune prodige ne manque pas de noter le ton sceptique de son père, auquel il vient de glisser son sujet de dissertation pour obtenir des conseils privilégiés.

Raoul : Je pense, oui. Enfin… j’sais plus… J’ai noté vite fait. Ça change quelque chose ?

Et son père de répliquer que, oui, cela change tout, que la nuance est subtile, qu’elle peut mener au hors sujet, donc à l’échec universitaire. D’ajouter que tout ceci fait écho aux interrogations « élémentaires » du grand public auquel il faut prouver que le droit international sert à quelque chose, si nécessaire en « affaiblissant de façon méthodique » la charpente de ses préjugés.

Voyant que Raoul demeure interdit, Hervé précise que l’on peut aussi bien se demander si le droit international sert à quelque chose, point d’interrogation à l’appui, qu’expliquer à quoi il sert, sans point d’interrogation. Tout dépend de l’angle adopté. « Mais c’est compliqué… et je dois préparer le dîner – du poulet rôti – avant l’arrivée de ta mère. En plus, il faut avoir un certain recul sur la matière pour pouvoir en parler brièvement ».

Fort heureusement, M. Serge Sur, Professeur émérite de droit public à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), a accepté de se prêter au jeu et de nous donner son sentiment sur la question*. Qu’il en soit vivement remercié ! Nul doute que ces quelques lignes contribueront à stimuler la réflexion initiée par ce dossier.

 

*

 

A quoi sert le droit international ? Qui pose la question, laquelle n’intéresse à vrai dire que peu de monde tant la cause semble entendue, se heurte le plus souvent au scepticisme, à l’ironie ou, chez les meilleurs, ceux qui aimeraient que règnent dans le monde le droit et l’harmonie, au chagrin et à la pitié. Clemenceau, lors d’un dîner lors de la négociation du traité de Versailles, aurait par exemple répondu à Wilson qui lui exposait les mérites de la paix par le droit, en lui montrant le poulet rôti qui était le plat de résistance : « Vous voyez ce poulet rôti ? il croyait au droit international ».

 

L’avenir, hélas, lui a alors donné raison. Aujourd’hui, la situation s’est inversée et ce sont les poulets nourris aux hormones américaines qui ne croient guère au droit international cependant que les Européens multiplient les professions de foi à son égard, surtout lorsqu’il concerne les droits de l’homme. Est-ce pour cela que beaucoup vivent du droit international ? Il a créé un milieu professionnel et les internationalistes de tout poil ne sont pas les plus défavorisés. On connaît l’histoire de ce professeur britannique à l’Académie de La Haye qui interpellait ses auditeurs : « Vous ne croyez pas au droit international ? Regardez le parking. Vous voyez cette Rolls ? C’est la mienne. Alors ? ». Un siècle plus tard, on mesure le progrès.

 

Mais la prospérité est aussi le cas de l’astrologie, de sorte que le développement d’un métier n’est pas la preuve de son sérieux. Il convient donc de chercher d’autres arguments que l’autosatisfaction des professionnels. Il serait facile de se limiter aux domaines les plus tranquilles, les mieux établis, ceux qui découlent de la souveraineté territoriale, tout ce qui permet la coexistence paisible entre Etats, situation dont on reconnaîtra qu’elle est l’ordinaire des relations internationales. Il est plus risqué, mais plus intéressant, de s’attacher à des exemples qui concernent la paix et la sécurité internationales au sens de la Charte des Nations Unies, ou la guerre et la paix au sens du droit international classique. C’est là en effet que se concentrent critiques et négations du droit international.

 

Le premier exemple concerne la période de la Guerre froide, mais ses conséquences  se prolongent toujours. Il s’agit de la politique dite de maîtrise des armements ou Arms control, initiée par les Etats-Unis et l’URSS et qui s’est traduite par un ensemble d’instruments juridiques, bilatéraux ou multilatéraux comme le Traité sur la non prolifération des armes nucléaires. Les traités qui en résultent continuent à encadrer et à rationaliser la dissuasion nucléaire, ils sont une condition de la confiance entre les partenaires de la dissuasion, et lorsque les Etats non dotés d’armes nucléaires les critiquent, c’est pour demander leur perfectionnement et leur extension. Cette politique juridique a entraîné le développement de techniques novatrices et juridiquement définies de vérification, qui enrichissent jusqu’à aujourd’hui la panoplie des outils opérationnels du droit international.

 

Le deuxième exemple concerne une situation particulière de guerre chaude, dans le cadre des compétences du Conseil de sécurité. On le sait, de façon générale la sécurité collective est juridiquement organisée. Une illustration en a été donnée avec l’intervention américaine en 2003. Le débat sur cette action dont l’opportunité était aussi contestable que la légalité internationale a été très vif, et il s’est déroulé en termes juridiques. Les nombreux Etats qui se sont fait entendre devant le Conseil ont dans leur grande majorité condamné le projet d’intervention en dépit des pressions américaines, et le Conseil ne l’a pas autorisée. Ce refus a indubitablement affaibli la coalition, et l’échec final de l’intervention a contribué à montrer à ceux qui pourraient en douter que la théorie du chiffon de papier a vécu.  

 

Enfin, de façon plus générale, renvoyons à l’excellent dossier de Questions internationales, revue bimestrielle de la Documentation française, n° 49, mai – juin 2011, intitulé A quoi sert le droit international – sans point d’interrogation.

 

*

 

Pour aller plus loin, voir aussi l’entretien récent du Pr. Serge Sur avec la revue en ligne Histoire@Politique, numéro de mai-août 2014.

 

*Serge Sur est également directeur du Centre Thucydide – Analyse et recherche en relations internationales. Il dirige l’Annuaire français de Relations internationales et est rédacteur en chef de la revue Questions internationales (La Documentation française). Il a accompli de nombreuses missions d’enseignement ou de recherche à l’étranger et a été juge ad hoc à la Cour internationale de Justice de La Haye (2009-2012).

 

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