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1 juillet 2014 2 01 /07 /juillet /2014 22:51

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A la faveur des examens et, plus spécifiquement, des épreuves du brevet et du bac (qui ont, plus que jamais, le don pour déchaîner l’imaginaire collectif), Benoît Hamon, Ministre français de l’éducation nationale, a initié, presque coup sur coup, deux réflexions qui n’ont pas manqué d’agiter la frange pédagogique (voire, la franche pédagogie) des réseaux sociaux.

Il s’agirait d’une part de remettre en cause les méthodes d’évaluation scolaire, plus spécifiquement de faire disparaître les notes négatives lorsqu’elles sont susceptibles de « paralyser » l’élève (Le Parisien, 24 juin 2014) ou de le décourager. Sans pour autant prôner la suppression pure et simple des notes négatives (quoique ?), Benoît Hamon estime qu’ « Il faut sortir d’une posture idéologique à l’égard de la note ou de l’absence de note. La note doit être utilisée à bon escient. Elle est utile, mais, quand elle paralyse, on doit lui substituer d’autres formes d’évaluation. La note ne doit pas être l’unique étalon […] ». On y reviendra.

Il s’agirait d’autre part de réformer la sélection en Master à l’Université. A l’heure actuelle cette sélection est effectuée à l’entrée en Master 2 (ancien DEA/DESS), le Master 1 (ancienne Maîtrise) étant, a priori, librement accessible aux étudiants ayant validé leur Licence. Cette sélection apparaissait légitime dans la nomenclature antérieure (DEUG, Licence, Maîtrise, DEA/DESS) mais semble devenue obsolète avec l'avènement dans les universités françaises de la nomenclature LMD (Licence, Master, Doctorat) en 2002. En effet, si, sur le papier,  cette nouvelle nomenclature présente le Master comme une formation de deux ans d’étude, dans les faits un étudiant peut valider son année de Master 1 et ne pas pour autant être accepté dans un Master 2. Il faut rappeler à ceux qui ne sont pas familiers du cursus universitaire que l’entrée en Master 2 se fait sur dossier, incluant relevés de notes des années précédentes, curriculum vitae, lettre de motivation et autres éléments déterminés par la direction du Master et l’Université. Une promotion de Master 2 comporte entre quinze et quarante étudiants, son accès est parfois conditionné à l’obtention de moyennes jugées satisfaisantes (au-delà de 12 ou 13 sur 20) pour les formations les plus prestigieuses. En somme, un étudiant peut de facto être éjecté de sa fac d’origine entre les deux années de Master s’il n’a pas eu d’assez bons résultats.

A l’instar de plusieurs syndicats étudiants et autres composantes de la société civile, Monsieur Hamon souhaite mettre un terme à cette incohérence selon des modalités qui restent à déterminer, peut-être en avançant la sélection à l’entrée en Master 1 (sur le principe, pourquoi pas ?). Certains vont plus loin et préconisent la mise en place d’une sélection à l’entrée en Licence 1. On signalera en ce sens la proposition du Pr. Olivier Beaud.

Dans la mesure où j’ai été étudiant il n’y a pas si longtemps, où j’ai la chance d’avoir officié quelques années en tant que chargé de TD et où j’ai fait une incursion non négligeable dans les milieux de l’enseignement « non supérieur » (maternelle, primaire, collège… je vous épargne les raisons du pourquoi), les propositions de Benoît Hamon ont suscité mon trouble. Révélées au grand public dans un laps de temps relativement court, elles font résonner, une fois de plus, la problématique des méthodes d’enseignement et d’évaluation du système français. Bien évidemment, ma réaction ne doit être appréciée que comme ce qu’elle est : le sentiment d’appréhension – empirique – d’un des maillons de la chaîne, ne bénéficiant d’aucune expertise en la matière et ne s’exprimant au nom de nul autre que lui-même.

Je ne suis sans doute pas le plus virulent. En effet, certains collègues cyniques (des copains d’abord) ont réagi avec verve aux propositions de remise à plat des méthodes d’évaluation. D’aucuns, imaginatifs, préconisent l’apposition de gommettes de couleurs sur les copies afin que l’élève, plutôt que d’être choqué par une note située en dessous de la moyenne, le soit par une gommette violette (qui deviendrait à terme le nouveau symbole du traumatisme scolaire, en lieu et place du rouge). D’autres se demandent, non sans ironie, si le recours à un smiley affichant une expression plus ou moins satisfaite selon la qualité de la copie, ne serait pas l’option idéale. L’Ours Basile, le Pikachu, ou la Fée Winx (fonction des goûts du correcteur) afficherait une mine franchement réjouie pour un travail de qualité, et une expression mi-figue mi-raisin (avec toutefois un pouce levé en signe d’encouragement) pour un travail médiocre ou mauvais. Je veux bien admettre que cela paralyse moins l’élève qu’un cinq sur vingt... J’aurais toutefois été plus susceptible d’être marqué à vie par le souvenir d’animaux contrits que par des notes au ras des pâquerettes.

 

pokemon2


Hervé : C’est quoi ce truc ?

Raoul (10 ans, CM1) : La maîtresse m’a rendu ma dictée…

Hervé : Je vois bien mais pourquoi est-ce que… c’est quoi ce dessin de singe en haut de la feuille qui me tire la langue ?

Raoul : J’ai fait beaucoup d’erreurs mais la maîtresse a dit qu’elle n’avait pas envie de me traumatiser, alors elle a remplacé ma note par un Winky taquin.

Hervé : « Winky… taquin » ?

Raoul : Oui, ça veut dire que j’ai fait plus de cinquante fautes mais que je dois garder espoir.

 

Sur le plus long terme, il paraît étrange d’envisager dans un même temps l’assouplissement des méthodes d’évaluation des jeunes élèves et la mise en cohérence des études universitaires. Si l’on schématise à gros traits, il conviendrait de préserver (à l’excès) l’élève puis, une dizaine d’années plus tard, d’adapter la nomenclature universitaire afin qu’il puisse achever son parcours de Master sans encombre.

Cependant, cette dynamique de « facilitation » des études (je voulais utiliser une expression classe) apporte-t-elle vraiment une solution sur le long terme ? A-t-on réellement conscience des problèmes auxquels peut être confronté un élève lorsqu’il met finalement les pieds à l’université et devient ainsi étudiant ? Prenons un exemple. Au risque de surprendre ceux d’entre vous qui n’évoluent pas dans le milieu universitaire, il est de plus en plus fréquent de voir arriver dans nos établissements des étudiants qui ne disposent pas des connaissances les plus élémentaires en français écrit, alors même qu’ils ont obtenu un baccalauréat général. Comble de l’ironie, certaines universités sont désormais contraintes de mettre en place des tests d’évaluation du niveau de français à l’entrée en Licence. Si, d’aventure, l’étudiant n’a pas obtenu des résultats suffisants, il est « invité » à suivre à une série de séminaires de français lors du premier semestre (oui oui !) afin d’assurer sa remise à niveau. Cela peut paraître singulier mais les étudiants étrangers – non francophones – ne constituent pas nécessairement la majeure partie de l’audience de ces cours de « remise à niveau ». Comble de l’ironie toujours (Ironie II, le retour), les lacunes de certains étudiants ne les empêchent pas toujours (=rarement) d’aller jusqu’en Master, alors même qu’elles ne sont pas comblées. On peut y voir la conséquence d’une lassitude collective des enseignants qui, après avoir maintes fois tenté de sanctionner ces bévues, finissent par ne plus en tenir compte et n’apprécier que le fond du travail. Je ne fais bien évidemment pas mention d’autres faiblesses (culture générale, etc.), qui auraient été considérées comme très gênantes il y a à peine quelques années.

 

Hervé : Tu as eu douze à cette dissertation…

Raoul (19 ans, Licence 1) : Tu n’as pas l’air… content.

Hervé : Tu as écrit « Gallop d’essai » et ton introduction commence par une référence au discours de « Bagnolet » prononcé par « Charles de la Gaule ». Je remarque également que tu as écrit « bien qu’il est » au lieu de « bien qu’il ait », ce qui me laisse penser que tu ne sais pas faire la différence entre les verbes être et avoir. Donne-moi le mail de ton chargé de TD. J’exige qu’il baisse ta note de cinq points.

 

Il faut alors en déduire que c’est en amont que naît le vrai problème et que la cohérence de l’ensemble du système doit être discutée. Une partie non négligeable des étudiants entre en fac sans disposer d’une maîtrise satisfaisante, ou d’une maîtrise tout court, des connaissances nécessaires à la poursuite d’études universitaires convenables.

La faute tout d’abord à un examen du baccalauréat qui, soyons honnêtes, sert davantage à sonner le glas de l’aventure scolaire qu’à attester de l’accomplissement du cursus. Je n’ai d’ailleurs pu m’empêcher d’être stupéfait d’apprendre qu’une pétition avait été signée par des milliers de Terminales pour faire constater par le gouvernement que les épreuves du bac scientifique étaient bien trop dures. Sans être en mesure d’en juger (n’ayant pas vu le sujet et étant incapable évaluer sa difficulté… car j’ai fait un bac littéraire et suis une quiche en sciences physiques), je ne crois pas qu’il soit opportun de dénoncer de manière aussi retentissante une épreuve, sous prétexte que le taux de réussite risquerait de devenir « inférieur à 50 % ». Est-il si saugrenu d’imaginer le baccalauréat comme un examen avec un risque réel d’échec, échec dont la survenance varierait en fonction de l’investissement de l’élève ? Il semble utile de ne pas confondre le droit d’étudier dans des conditions favorisant la réussite et le droit à la réussite.

Et puis, soyons vicieux : si les étudiants tentaient ce genre de pétition en fac, ils subiraient un camouflet. Autant les habituer.

 

RaoulV : C’été quoi c’te épreuve de Libertés publiques ? Le sujet étais infaisable ! Rébelion ! #TousAlElysee #AlloQuoi cc @FrançoisHollande

 

La faute également aux mutations des enseignements primaire et secondaire, notamment aux nombreux coups portés au programme scolaire dans les matières fondamentales. Bien avant le bac, certains enseignants (des copains, mais je suis peut-être entouré des seuls relous de l’Education nationale) reconnaissent n’avoir pas d’autre choix que de laisser passer en 6ème des écoliers qui ne savent pas écrire deux lignes sans faire quinze fautes d’Otto Graff. Pourtant, on ne peut (et on ne doit) pas blâmer ces collègues. Rappelons les obligations considérables qui sont les leurs en termes de programme : priés de noter à la hausse, débordés par les directives venues du haut, il leur est difficile d’inculquer les connaissances fondamentales aux élèves, d’autant plus qu’il leur est demandé d’enseigner aussi bien le français, les maths et l’histoire-géo que la botanique, l’esperanto, les institutions internationales, la musique baroque, le micro-entreprenariat et peut-être bientôt, la programmation html. L’idée semble être d’apprendre plus large, mais d’apprendre moins bien. Or, à trop vouloir faire des enfants des puits de science, des prodiges polyvalents, les gouvernements successifs semblent avoir oublié l’essentiel : pour écrire une bonne lettre de motivation, il est indispensable de savoir accorder un sujet et un verbe. Soyons cléments toutefois avec nos gouvernants. De toute évidence, certains n’ont jamais reçu de sms d’un collégien français rédigé en nov-langue (ou visité la page du désormais célèbre « Bescherelle, ta mère »).

 

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Comme le montre cette capture d'écran, le célèbre @Petit_Prof signale sur Twitter que l'épreuve de français du Brevet 2014 comporte cette épreuve d'une difficulté scandaleuse.

 

En prime, à vouloir préserver les élèves de la conscience de leurs faiblesses éventuelles (« Travail insatisfaisant. Va réviser ! »), on les expose à une révélation bien plus douloureuse dans la phase supérieure de leurs études : l’entrée en fac et les premières tôles. Je ne compte plus le nombre de fois où certains de mes étudiants de 1ère année, à qui je fournissais des remarques aussi constructives que possible pour s’améliorer, ont semblé réaliser soudain l’ampleur de la mystification et m’ont répondu, l’air presque hagard : « M’sieur, franchement on était à l’aise en Terminale mais là c’est auch’. On nous avait aps préparés à ça ».

En ce sens, et pour revenir sur les réflexions du Ministre, le problème ne semble pas tant d’octroyer une note négative à l’élève que d’accompagner cette dernière d’un commentaire constructif. Encore faut-il en avoir le temps, les moyens… et l’envie !

Bref, je m’attarde et il y aurait tant d’exemples à citer. Il demeure qu’à force d’appliquer des rustines sur le système scolaire français, les ministres de l’éducation ne font que retarder l’échec des élèves en difficulté, compromettant par la même occasion le fonctionnement des universités qui les accueillent à l’âge adulte. Cette stratégie occasionne par ailleurs une levée de bouclier des enseignants du supérieur (autrement appelée « écrémage UHT – Ultra haute température »), lesquels tentent de préserver l’institution et son prestige en instaurant une sélection de facto ou de jure (voir O. Beaud, précité), aussi bien à l’entrée en fac que durant le cursus, notamment au stade du… Master.

 

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Par conséquent… réformer les systèmes d’évaluation et de notation tout en affectant la qualité des enseignements ; demander, en parallèle, aux universités d’accueillir davantage d’étudiants et d’accroître le pourcentage de validation de Licence, sans leur en donner les moyens matériels et financiers : s’agirait-il simplement de botter en touche, en espérant que les difficultés se résolvent d’elles-mêmes en fin d’études ? J’en perds mon latin. Ckoi ce délire, jvous jure, j’y comprend kdalle.

Il faut alors adhérer à la suggestion d’un collègue qui, m’entendant manifester ma vindicte sur la question des réformes scolaires, a estimé que mon brûlot pourrait être résumé en une citation de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » (© Bossuet).

 

Raoul : C’est qui Bossuet ?

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commentaires

H
En même temps décaler la sélection de M2 à M1 ça n'est pas spécialement faciliter les études ou dégrader l'image/prestige d'une institution ... dans la logique LMD si l'étudiant de M1 n'est pas<br /> assez bon pour entrer en M2 que signifie le fait de lui valider son année ?<br /> C'est au contraire lui valider son année qui est hypocrite : "t'es bon mais en fait non tu n'es pas bon. (La seule différence avec un recalé, c'est que toi, tu ne peux pas redoubler, ta seule<br /> chance : trouver une fac qui veut bien de nos rebuts)"<br /> <br /> Lorsque la maîtrise était un diplôme cela avait un sens : on atteste par ce diplôme que vous avez un niveau bac + 4 (sans indiquer si on considère ou non que l'étudiant a les capacités pour<br /> entreprendre un bac +5) et comme c'était un diplôme il était impossible pour un recruteur de savoir si le candidat s'était arrêté en maîtrise par choix ou non (le doute dépendait peut-être des<br /> disciplines).<br /> <br /> Là avec le LMD, s'arrêter en M1 ne laisse pas le bénéfice du doute : tu t'es fait jeté par les facs (ou alors faut avoir une sacrée bonne raison à justifier d'entrée, genre tu faisais un master de<br /> langue des signes et t'es devenu aveugle) du coup l'étudiant peut se sentir floué : il a bossé un an de plus que la licence (et assez bien pour avoir sa validation), mais sur son CV finalement il<br /> n'a rien de plus que quelqu'un qui s'est arrêté à la licence.
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